Parce que j’étais loin d’être une élève brillante, parce qu’il me fallait comprendre « à quoi ça sert », parce que je trouvais que le système éducatif dans lequel j’ai passé plus d’une douzaine d’années ne répondait pas vraiment à mes questions, parce que je n’ai toujours pas compris pourquoi en mathématiques on appelle ça le « barycentre » alors qu’en sciences physiques, au cours suivant, on l’appelle « centre de gravité », parce que je me suis dit que tout cela me semblait bien déconnecté de la réalité qui serait la mienne, j’ai d’emblée décidé d’enseigner en CFA, j’ai décidé d’enseigner autrement. Alors forcément, avec un objectif, une motivation, ça devient plus facile de suivre et de comprendre des cours.
Les apprentis CAP avec qui j’ai passé quelques lustres de ma carrière, quelle que fut leur spécialité, étaient rarement des élèves sortant du collège ou du lycée avec les félicitations du conseil de classe. Le français « ça sert à rien », « les cours ça sert à rien sauf à l’atelier parce que là on apprend vraiment le métier », « de toute façon, moi j’ai toujours été nul »… Première étape : lutter contre les idées préconçues, lutter contre les images dénaturées qu’ils ont d’eux-mêmes, lutter contre les représentations parfois étranges que les élèves peuvent avoir d’une chose, représentations où se mêlent compréhension partielle, sensations et émotions, sentiments et souvenirs… Lutter contre la confusion… « La motivation passe d’abord par la restauration du Je [1]». Première idée à déconstruire pour reconstruire…
Ensuite, je me suis rendue compte que si je ne prenais pas suffisamment le temps de vérifier ce que « mes jeunes » connaissaient d’un sujet, surtout quand ils ont une représentation fausse, inutile de tenter de transmettre une connaissance qui aille à l’encontre de ce qu’ils ont mal mémorisé et qui parfois relève davantage de la croyance que du savoir mal digéré. Deuxième série d’idées à déconstruire pour reconstruire. Dès lors que l’idée fausse est déconstruite, ça devient aussi plus facile d’expliquer « à quoi ça sert ».
Et un de mes meilleurs souvenirs restera celui d’apprentis CAP Chaudronniers heureux d’avoir simplement découverts que la littérature ça sert aussi à se faire plaisir : « Madame c’est la première fois que je lis un livre ». Des fois enseigner, ça sert aussi seulement à avoir du bonheur… La reconstruction d’une nouvelle idée a fonctionné au moins cette fois-là…
Marina Jean, Enseignante-formatrice, Pôle Mode Décoration
[1] Brigitte Prot : Profession motivatrice ; Ed. Noêsis, Paris, 1997